jeudi 6 novembre 2008

A little more eternity

Juste un petit point pour éclaircir un phénomène. Nous sommes en 2003 et il fait bien chaud. Si mes souvenirs sont exacts, nous sommes entre le mois de septembre et d’octobre. Enfin je sais plus trop mais bon, partons de ce postulat. Fin d’été 2003. Je traîne mes guêtres dans une des Cyclades : Naxos. Autant je ne peux me souvenir de moult détail concernant ce voyage (comme les dates), autant cette journée je pourrais m’en rappeler toute ma vie.

Paradoxalement, pas à cause de ce que j’y ai vu, mais plutôt pour ce que je voudrais y vivre.

Explication : Nous sommes donc en fin d’été, la Grèce est encore ce qu’elle sait être le plus. Une destination touristique simple, facile et efficace. Le rendez-vous européen moyen gamme, après les destinations plus prestigieuses comme l’Espagne, le Maroc ou plutôt la Crimée. Etudiante dirons-nous. La journée semblait vouée à la même occupation. Recherche d’un spot photographique, fuite à l’intérieur des terres et par-dessus tout, éviter les français dans le Chora.

Armé d’un brave deux roues que nous ne comptions pas rendre en bonne état, nous défiions alors la route. Tracer le chemin, à l’instar d’un snowboard sur une pente vierge et immaculée. Les paysages se succédèrent, vallonnés, encaissés, arides et sans intérêt. Comme un point dans l’espace, nous étions seuls sur cet asphalte brulé par un soleil trompeur. La monotonie nous guettait, mais notre enthousiasme était encore intact. La fraîcheur de la jeunesse ?

Puis au détour d’un virage, nous quittions la bordure de mer. La route s’enfonçait dans une vallée légèrement encaissée, plus à l’intérieur des terres. La végétation changea, s’habilla, sembla plus riche et verdoyante, gavée d’eau douce. S’étendaient maintenant des oliviers sauvages, peuplés de cipres et de noisetier, dans un fouillis…plus Latin qu’Hellène. Maintenant le soleil jouait entre les branches, projetant les ombres sur la route offrant ainsi plus de fraîcheur.

Encaissé entre ces montagnes, pigeonnantes dans la mer d’Ulysse, la forêt formait et recouvrait une large cuvette. Rien ne semblait troubler notre contour par la route de ce désert tout de bois et de vert vêtu. Cette route, serpentant à flanc de la montagne surplombait cette forêt. C’est alors que la copilote de ma vie d’alors me somma violemment d’arrêter net le destrier mécanique, presqu’à bout de souffle. Je me préparais violemment à répondre à cette accolade qui aurait pu nous coûter la vie, notre frêle et si insouciante existence. Je la vois encore, enfoncée dans son casque, toutes tâches de rousseur au dehors et pointant son sceptre de bras vers la toiture verte ou se distinguait une pâle éclaircie rouge ardoise.

Arrêté au beau milieu de la chaussée, j’hésitais. Le chemin pour parvenir dans cet endroit vierge semblait inaccessible. Il fallait y aller à pied, mais l’on ne distinguait pas facilement la distance qui nous séparait de cette toiture par méconnaissance de la difficulté de la traversée à entreprendre. Pourtant une chose me poussa, m’attira, m’agrippa. Comme cette force qui vous pousse pour je ne sais quelle raison à céder. Comme des œillères, je n’avais plus que cette toiture perdue dans ces bois qui me fascinait. J’en oubliais ma suzeraine, j’en oubliais ma prudence et sans un mot je plantais là ce qui quelques minutes plus tôt coûtait plus cher que ma propre vie.

Je m’enfonçais dans ces bois, léger, caressé par les rayons parfois perçant du soleil pénétrant des oliviers enchevêtrés. Je pris le soleil comme point de repère, n’ayant qu’une visibilité réduite sur les reliefs avoisinants. Mais je savais que je progressais dans la bonne direction. Le vent semblait me porter. Il semblait me murmurer qu’il m’attendait. Tous. La forêt, le vent, le soleil et la terre. La pierre aussi. Au détour d’un branchage, apeuré par ma distance absurde avec la moitié de mon cœur, je tombai littéralement nez à nez sur elle. Brune plutôt que blanche. Lézardée, sale.

Je découvrais alors, perdu dans cette immensité, cette simple chapelle. La lumière et les ombres des branchages jouaient sur la bâtisse, se révélant du VIIème siècle. Pas plus haute que certains arbres alentours, la couleur ocre de la maçonnerie dénotait l’âge avancée de cette église. La luminosité était divine. Ma découverte concernait l’arrière du monument. De forme arrondie, Byzantine, la simple demeure ne devait avoir en largeur qu’une dimension de 8ou 9 mètres. Toujours inspiré, je fis le tour du bâtiment.

L’entrée, plus chiche encore, ne semblait accepter que les enfants de part la taille de son portique. Pas plus d’un mètre 50. Le silence s’imposa tout d’un coup. Le vent avait cessé de jouer dans les arbres et le temps semblait suspendu. Je n’entendais que le grondement provenant semble-t-il de l’intérieur du vestige. Je ne distinguais pas la lumière et, comme happé dans l’antre de cette maisonnée, je me baissais. La même appréhension parcourait mon dos, à l’instar de ce qu’une entrée dans un gouffre procure comme répulsion enfantine. Le noir et l’absence de lumière.

Mais la récompense fut à la hauteur de cette témérité. Même peu croyant, je n’osais me passer d’un signe de croix en découvrant, vouté pour éviter les transepts, le cœur de l’église. Un silence reposant régnait dans ce havre. Lorsque mes yeux s’habituèrent à la noirceur, c’est le brillant qui me sauta aux yeux. Toute la chapelle était peinte à l’intérieur. De plus pur style Byzantin, les fresques naïves ornaient tout autour de moi ce qui pouvait se comparer à un igloo en pierre. Le sol, les murs, le plafond. J’eus cette sensation que ces peintures étaient plus vieille de près de 7 siècles que moi. J’eus un spasme. Une décharge sur toute la moelle épinière. Je tandis mon bras, m’appuyant sur une colonne pas plus haute que moi et tentais de reprendre mon souffle. Je n’étais pas claustrophobe, simplement soufflé. Je n’eus d’autre choix que de m’assoir en tailleur, à même ce dallage de pierre que des hommes avant les pères de nos pères posèrent en secret dans ce simple but. Recevoir les hommes comme moi, pour l’éternité.

J’avais trouvé mon endroit sur terre. Celui ou je voudrais demander la main de celle qui m’aimera plus que moi.


C’était évident. Mais j’y étais seul.

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